Laura Flessel, qu'avez-vous transmis aux jeunes joueurs de l'équipe BNP Paribas Jeunes Talents ?
C'est un moment d'échange très positif qui a permis d'échanger sur le savoir-faire, le savoir-être et le futur, le parcours du sportif en quelque sorte. Ils sont jeunes, talentueux et reconnus comme de véritables talents par BNP Paribas et la FFT. L'idée était donc de parler avec eux de ce parcours qui peut être long et qui n'offre aucune garantie de réussite. Leur expliquer qu'ils ont du talent et un environnement accommodant, mais qu'il faut toujours être attentif aux indicateurs de progrès et les analyser. Ils doivent planifier les choses tout en étant capables de lâcher prise en cas de victoire et de la savourer, car elle n'est jamais acquise d'avance. On a parlé de plaisir, de passion, de la rigueur du sport et aussi de double projet. Des données chiffrées montrent en effet qu'il doit être amélioré. Concilier le sport et les études peut être difficile, mais pas insurmontable. C'était un moment d'écoute, de rires, de questions et j'espère qu'ils sont repartis avec un bon sentiment, car un beau défi les attend.
Y a-t-il eu des questions qui vous ont plus préoccupé que d'autres pendant l'échange ?
Nous avons beaucoup échangé sur l'accompagnement avant le baccalauréat, car nous voyons bien qu'il y a beaucoup de stress à cette période. L'adolescent qui va au collège et au lycée, et sur la façon dont on arrive à bien appréhender ce rythme pour que le sportif ne décroche pas avant le bac, mais puisse ensuite se consacrer à la compétition avec plus de sérénité. Il en ressort qu'il y a une vraie orientation vers les cours à distance pour répondre à la complexité du rythme du jeune sportif. Mais les cours par correspondance doivent être améliorés. Les solutions existent, mais tous les acteurs doivent se mettre autour de la table pour aller dans la bonne direction. Car cela génère du stress, tant pour les parents que pour les jeunes talents qui ne veulent pas échouer.
Pourquoi avez-vous décidé de créer cette école ?
Parce qu'il y avait une demande, notamment en termes de reconversion après la carrière. Les chiffres sont flagrants : plus de 8 000 sportifs par an terminent leur carrière, et ce dans tous les sports, d'hiver ou d'été, professionnels ou amateurs, individuels ou collectifs, handicapés ou valides. C'est une réflexion à mener à une échelle plus large pour améliorer la reconversion. On constate que plus de 40% des athlètes décrochent avant ou après le baccalauréat et se posent des questions, somatisent ou se blessent lorsqu'ils arrivent en fin de carrière. Ce sont 40% des personnes auxquelles nous devons apporter des solutions. C'est la réponse de notre école qui peut accompagner ces athlètes sans prérequis de diplôme, car nous valorisons sans complexe l'ADN et les qualités développées durant la carrière sportive. Avec le groupe ACE, nous avons la possibilité de les faire évoluer dans les domaines professionnels et passionnels. Aujourd'hui, il est vraiment crucial pour eux de pouvoir se dire qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils ne doivent pas avoir peur du lendemain et que le temps reste un allié. Il faut 8 à 10 ans à un sportif de haut niveau pour acquérir une certaine sérénité dans sa réorientation professionnelle. Là encore, il faut s'attacher à anticiper pour améliorer la transition entre la carrière sportive et la carrière professionnelle.
Faites-vous référence à ce que l'on appelle communément dans le sport la "petite mort" ?
Certains parlent effectivement de "petite mort" car le téléphone ne sonne plus, l'adrénaline de la compétition n'est plus là et on ne défend plus les couleurs de la France. On n'est plus non plus dans un rapport d'excellence à l'instant T le jour X. Il faut donner un nouveau sens à sa vie et à ce que l'on veut devenir. De plus, la rupture avec le sport peut entraîner un changement de situation familiale (divorce, pause bébé) qui génère encore plus de stress.
"Combien de sportifs ont contribué aux titres de Teddy ?"
Est-ce également votre expérience professionnelle et votre post-carrière qui vous ont incité à servir de guide à vos successeurs ?
En tant que sportive et ancienne ministre, j'avais accès aux chiffres. Et c'est ce qui m'a poussée à créer ce suivi individuel pour les sportifs de haut niveau, car il est absolument nécessaire que les générations futures s'inspirent aussi de notre expérience. Cette école représente une solution complémentaire à ce qui existe déjà, avec une maniabilité pour les sportifs, parce que nous l'avons vécu, et moi le premier. Et cette solution n'est pas réservée aux médaillés. Elle existe pour tous ceux qui ont mouillé le maillot pour la France ou pour leur club. L'idée est vraiment : "tu viens avec ton ADN et tes qualités et on t'aide à te transformer pour que demain tu sois un acteur important de ta propre vie professionnelle".
Avez-vous vous-même ressenti le vide que laisse la fin d'une carrière ?
Oui, et totalement. Le téléphone ne sonne plus, les gens regardent ailleurs, ils ont peur qu'on leur demande un service. C'était pareil après ma carrière de ministre : les "vrais faux amis" disparaissent. Je savais que je serais à nouveau seul, avec seulement mon entourage, mon noyau dur. Mais je savais ce que je voulais faire, j'ai pris le temps de le formuler, et aujourd'hui, Sport Excellence Reconversion est devenu l'un de mes atouts. Car il faut savoir tendre la main et être solidaire. Sans rien vous cacher, j'ai perdu des amis dans le monde du sport parce qu'on ne pouvait pas les aider. C'est aussi la raison pour laquelle nous nous sommes réunis entre sportifs pour créer cette école avec Richard Hulin. C'est compliqué de consacrer vingt ans de sa vie à une famille sportive et de ne plus en faire partie à vingt ans et un jour. Nous voulons que chaque sportif puisse s'inscrire et rejoindre cette nouvelle communauté.
Vous ciblez aussi les sportifs qui n'ont pas eu votre chance de gagner des titres ou de porter la France au sommet...
Je suis devenue championne grâce à des adversaires qui n'ont pas pu gagner quand j'étais au sommet. Il faut aussi s'intéresser à ceux qui font de nous des champions : Les remplaçants, les sparring-partners ... Je veux bien dire que Teddy (Riner) est dix fois champion du monde, mais combien de champions et de sportifs français ont contribué à son entraînement ! Et ils sont anonymes. Notre école, c'est aussi pour ces sportifs qui ne gagnent pas de médailles, mais qui ont l'ADN que les entreprises recherchent en revanche aujourd'hui.
Avez-vous assisté à des drames ?
Oui, nous avons des sportifs qui vivent au RSA, d'autres qui se sont battus pour leur vie. Il y en a aussi qui ont très bien réussi leur reconversion. J'ai envie de faire un clin d'œil à Stephan Caron dans la finance ou à Valérie Barlois dans l'escrime, pour parler aussi de ma famille (rires). Il y a des autodidactes qui sont dans l'œnologie, qui sont entrepreneurs ... Il faut aussi s'arrêter sur ceux qui ont eu une relation compliquée avec l'école, mais qui ont une intelligence de la transformation formidable. Nous nous engageons à les accompagner et à identifier les secteurs et les univers qui leur correspondent. Nous avons la chance d'avoir des acteurs du monde économique qui nous accompagnent dans ce travail de reconversion et qui voient dans nos sportifs de cette première promotion les collaborateurs de demain dans leurs entreprises. Je pense à la natation, à l'équitation, à l'escrime, mais aussi au handball et au football... La deuxième promotion tourne autour du volley-ball, du cyclisme et à nouveau du handball. Le message passe, nous travaillons en étroite collaboration avec les clubs, mais nous voulons maintenant passer à la vitesse supérieure.
"A chaque fois, j'ai rencontré des personnes qui m'ont aidé à me remettre sur pied".
Les sportifs des disciplines qui rapportent le moins d'argent, dont fait notamment partie l'escrime, sont-ils encore plus touchés par les difficultés ?
Oui, nous sommes un sport plus confidentiel, nous sommes donc obligés de travailler très rapidement sur notre double projet. Avant d'avoir ma fille, je m'entraînais trente à trente-cinq heures par semaine. Après sa naissance, c'était vingt à vingt-cinq heures, plus le travail à côté. On est obligé de travailler et c'est compliqué. Si on n'a pas cette sérénité professionnelle, c'est encore plus compliqué. C'est pour cette raison que nous avons réfléchi au financement de nos formations. Il faut aussi dire au sportif qu'un financement est possible et ne pas avoir peur de mettre en place cette reconversion via les financeurs existants.
Comment vous impliquez-vous au quotidien au niveau de l'école ?
Pour l'instant, nous sommes dans la phase de communication et de diagnostic et nous travaillons sur les conventions avec les clubs et les entreprises pour que derrière, il y ait une reconversion professionnelle. En ce qui me concerne, en fonction du programme, quand il me touche, je me déplace. Et en l'occurrence, j'ai trouvé important de prendre le temps d'échanger avec les jeunes talents du Team BNP Paribas qui souhaitent s'engager dans le haut niveau, sur mon expérience, sur les difficultés, mais surtout sur le plaisir de briller et de réussir sans en avoir la garantie. "Jo" (Jo-Wilfried Tsonga), son parrain dans le cadre de ce programme pour jeunes talents, a déclaré dimanche dernier : "Vous enclenchez une dynamique, mais sachez qu'il n'y a aucune garantie de devenir champion. Soyez plutôt les champions de votre projet". Si vous préparez les sportifs, ils seront plus incisifs sur leur parcours.
Votre reconversion correspond-elle à ce que vous aviez imaginé ? Peut-être même au-delà ?
C'était parfois compliqué, mais à chaque fois j'ai rencontré des personnes qui m'ont aidé à rebondir. Et en fait, c'est une réussite. Je garde mon attitude de compétitrice parce que chaque jour suffit et qu'il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Je travaille constamment à valoriser chaque jour et à être meilleure que la veille. Je m'inspire de ce qui a déjà été fait, mais je regarde aussi vers l'avenir pour être en phase avec le présent.