Malgré quelques échanges de tirs qui ont fait plusieurs blessés au début du tournoi à Buea, dans l'ouest, où sévit depuis cinq ans un conflit séparatiste sanglant, les menaces des groupes armés de perturber le tournoi sont passées inaperçues. Les djihadistes de Boko Haram et du groupe État islamique (EI), qui mènent régulièrement des attaques meurtrières dans l'extrême nord, n'ont pas non plus fait parler d'eux à trois jours de la finale. L'opposition politique n'a pas non plus fait entendre sa voix, qui ne ménage pas ses critiques malgré une "répression implacable", selon Amnesty International, de la part du régime du président Paul Biya, bientôt 89 ans et qui a dirigé le Cameroun d'une main de fer pendant près de 40 ans.
Au contraire, le pays semble s'être rassemblé derrière ses lions indomptables. Les drapeaux aux fenêtres, l'enthousiasme de la population, le concert de vuvuzelas à la fin des matches... "Cette CAN a été un moment de rassemblement, une parenthèse qui a fait taire momentanément les divisions. Tous les Camerounais sont passionnés par le football, même ceux qui veulent faire sécession", analyse Ambroise Essomba, politologue à l'université de Douala. L'opposition a même joué l'apaisement. Son principal leader, Maurice Kamto, a appelé à "ne pas tenir de propos désobligeants sur la CAN", alors que des dizaines de militants de son parti ont été condamnés jusqu'à sept ans de prison pour des "marches pacifiques" contre le régime. Ni lui ni aucune autre voix de la société civile n'a tenté de tirer un quelconque profit politique de la bousculade qui a fait huit morts le 24 janvier à la sortie d'un match du Cameroun au stade d'Olembé à Yaoundé. Une tragédie que les autorités ont toutefois attribuée à des "négligences" des policiers chargés de la sécurité, qui étaient "en nombre insuffisant".
Une répression impitoyable
"Mais le football et la politique sont deux choses différentes. La CAN ne va pas changer ma vie".
"Nous sommes tous entièrement derrière le Cameroun et nous espérons que cela continuera après la CAN. Nous vivons dans un pays en paix, c'est juste une minorité qui pose problème", explique Brice Kesseck, 36 ans, vendeur de tapis. "Avec la CAN, tous les Camerounais se sont retrouvés", affirme Dieudonné Varsia, la trentaine, qui campe devant un hôtel dans son uniforme jaune d'agent de sécurité. "Mais le football et la politique sont deux choses différentes. La CAN ne va pas changer ma vie. Je viens de l'Extrême-Nord et comme tous mes frères de Yaoundé, nous avons fui notre région et vivons de travaux misérables", se plaint-il.
Pour Richard Makon, enseignant-chercheur à l'université de Douala, "la CAN a montré que les Camerounais peuvent se rassembler autour d'une cause commune, se parler et être ensemble pour défendre le drapeau, et c'est une victoire importante. On ne pouvait même plus l'imaginer". La CAN était une priorité de M. Biya pour redorer son image, considérablement écornée sur la scène internationale depuis son énième victoire très contestée à l'élection présidentielle de 2018. Les ONG internationales et les Nations unies accusent depuis des mois ses forces armées de mener une répression impitoyable contre les velléités séparatistes de la minorité anglophone de l'Ouest et le pouvoir en place d'emprisonner "illégalement" toute voix critique. Ces accusations ont été fermement rejetées par Yaoundé. Le chef de l'Etat a profité de la cérémonie d'ouverture pour faire une apparition publique extrêmement rare et a reçu - depuis le toit ouvrant de son SUV blindé - une ovation debout de la foule, malgré les rumeurs persistantes sur son état de santé fragile. Dans tout le pays, on pouvait voir des affiches sur lesquelles il souriait en brandissant un ballon de football et en vantant le "succès commun".
Remaniement du casting ?
Makon a déclaré : "Il a réussi à organiser la CAN et en est sorti plus fort", mais "cet élan ne pourra être consolidé que s'il prend des mesures efficaces pour résoudre les préoccupations des Camerounais : Qualité de vie, gouvernance, consolidation de la démocratie, conflit anglophone...", a énuméré le politologue. "Mais je suis à peu près sûr qu'il n'y aura que quelques mesures pour montrer que Paul Biya tient le gouvernail et conserve le droit de vie et de mort sur tout homme politique", estime-t-il. "Un remaniement est très probable, mais les barons resteront, car le président ne veut pas dévoiler ses intentions concernant sa succession", analyse encore Makon.
"Plusieurs têtes vont tomber", pronostique Ambroise Essomba. "La CAN a englouti beaucoup d'argent du contribuable et le président l'a laissé entendre. Lors de ses vœux du 31 décembre 2021, il a promis que "tous ceux qui se rendront coupables de malversations financières ou d'enrichissement illicite en assumeront les conséquences devant les juridictions compétentes".